Afro-cubain : quand l’Afrique a fait danser Cuba… & vice versa (1/2)

Joseph Kabasele, monument de la rumba congolaise, entouré de son orchestre

PARTIE 1 : L’essor d’un nouveau genre au Congo et au Sénégal

L’afro-cubain c’est histoire d’un bouillonnement culturel, fruit d’un déracinement dû à l’esclavage. Cha-cha, rumba, en passant par le mambo, arriveront via la façade Atlantique de l’Afrique et rencontreront un succès énorme. Repris par des groupes locaux, le genre connaîtra une période dorée qui s’étire des années 40 aux années 70. Retour sur la naissance du phénomène et sa place toute particulière au Congo et au Sénégal.

L’Afrique est liée à Cuba depuis le seizième siècle et l’arrivée des premiers esclaves. À partir de ce dernier et jusqu’au dix-neuvième siècle, il y aurait, environ, un million quatre cent mille esclaves qui se seraient retrouvés à Cuba pour travailler dans les plantations. Cette présence influencera considérablement la musique cubaine qui se nourrit des percussions, rythmes, chants et danses réalisés par ces esclaves.

Des esclaves au travail, dans un champ de canne à sucre. (William Clark, 1823)

Le mambo, le cha-cha, le son sont ainsi basés sur des rythmes et des percussions que présentes, au départ, dans la musique traditionnelle africaine. La clave que l’on retrouve, entre autres, dans la rumba cubaine est un instrument originellement utilisé par plusieurs peuples d’Afrique. Quelques siècles plus tard, la musique cubaine traversera à son tour l’Atlantique ; et l’influence africaine qu’elle porte en elle lui fera rencontrer un énorme succès. De ces esclaves présents à Cuba, une majorité était issue du royaume du Kongo qui lie actuellement les deux Congo, l’Angola et une partie du Gabon. Rien de plus naturel, donc, que de voir émerger un genre afro-cubain dans ces pays, à peine un siècle après l’abolition de l’esclavage à Cuba.

Un coup marketing de Gramophone

Comme souvent dans l’ère musicale pré-internet, les ports vont être les premiers réceptacles des nouvelles tendances. La façade Atlantique de l’Afrique sera la première en contact avec la musique cubaine via les marins qui débarquent dans les ports africains, dont notamment celui de Boma, en République Démocratique du Congo actuelle, soit à plus de dix mille kilomètres de la Havane.

L’étiquette du hit « El manicero », troisième disque du label Gramophone Victor qui se déverse sur les côtes africaines dans les 30’s.

Le phénomène prend sa source pendant la grande dépression des années 30 et 40, période durant laquelle le label américain Gramophone choisit de s’attaquer à l’étranger et notamment au marché africain.

Conséquence : une série de 78 tours inonde les disquaires africains. Les GV, pour Gramophone Victor, sont dans tous les postes, sur toutes les platines et dans toutes les oreilles de la façade ouest-africaine. Entre 1933 et 1958, au total, près de 250 titres vont marquer toute une génération de groupes africains qui se mettent à reprendre des standards du pays de Fidel Castro. En yaourt espagnol les reprises des morceaux des stars havanaises comme Donnas Piazu, le Sexteto Habanero, le Trio Matamoros ou encore Arsena Rodriguez, sont nombreuses, du Congo, au Sénégal en passant par le Mali et la Guinée. En tête des reprises, El Manisero, un tube des années 30 qui sera un des morceaux parmi les premiers à passer sur les ondes africaines. Manu Dibango expliquera d’ailleurs par la suite que, souvent, il fallait qu’il montre son aptitude à jouer ce morceau pour entrer dans un band.

Cha-cha, mambo, son et autres rythmes cubains vont rencontrer un succès grandissant en Afrique noire, et de fait, ils influencent les orchestres qui essaiment dans les années 40, au Sénégal, dans les deux Congo, en Guinée, Côte d’Ivoire, Bénin, Togo, Cameroun… Ces formations, souvent encouragées voire financées par les États, seront les fers-de-lance d’une nouvelle culture souvent mise en avant lors de biennales.

El Carretero est, à l’origine, un tube des années 50, écrit par Guillermo Portabales, Amara Touré le reprendra vingt ans plus tard au Sénégal.

Succès à Léopoldville et réappropriation

Parmi ces pays, le Congo belge, va vite prendre la place d’épicentre artistique. Dans les années 50, 500 000 disques étaient vendus chaque année à Léopoldville. Rapidement, les reprises ne se font plus en espagnol ou en yaourt, et le lingala devient la norme pour les groupes d’afro-cubain. Cette première révolution se doublera d’une seconde : l’arrivée de l’électricité permettant la multiplication des guitares électriques.

Dans les années 40, cette effervescence donne naissance à un genre hybride : la rumba congolaise, mélange de musique rurale congolaise et de rumba cubaine. Dans cette musique hybride, les percussions sont centrales. Les claves, ces deux bouts de bois qui s’entrechoquent, donnent le ton. Cette base rythmique est transcendée par la guitare sebene congolaise sur laquelle un chanteur, bien souvent, improvise. Tous, de Franco Luambo et son OK Jazz, en passant par les Bantous de la Capitale au mythique Joseph Kabasele et son African Star s’y essayent. Le succès est alors foudroyant dans toute l’Afrique Subsaharienne.

Franco Luambo fait figure de ponte de la rumba congolaise. Guitariste de génie, il participera à la popularisation du genre. Fort de 150 albums, il est aujourd’hui considéré comme une légende et une source d’inspiration pour de nombreux groupes actuels.

Beaucoup plus au nord, le Sénégal demeure le second pays le plus marqué par l’afro-cubain. Des groupes de l’indépendance à ceux des années 70 et 80, le Sénégal va connaître un foisonnement de projets. L’afro-cubain s’écoute et se danse alors dans les bals de l’époque, prisés de la population locale.

En 1960, l’homme d’affaires Ibrahim Kassé crée l’orchestre Star Band de Dakar pour animer son célèbre club : le Miami Yes. Chants en wolof ou espagnol, accompagnés de cuivres et d’instruments électriques sont au cœur d’une formation qui va devenir une pépinière de talents. Entre autres, Laba Sosseh, Pape Seck ou encore Youssou Ndour, qui y débutera à 16 ans, en seront membres. Tous sont considérés, aujourd’hui, comme des figures incontournables de la musique sénégalaise. Reprenant cha-cha, charanga, rumba, merengue, le groupe va devenir une référence à Dakar et le leader de l’afro-cubain sénégalais de l’époque.

Après une popularité accrue durant une dizaine d’années, des années 70 aux années 80, l’Orchestra Baobab se dissoudra. Il faudra attendre Nick Gold, l’instigateur de Buena Vista Social Club pour voir le groupe se reformer.

Plus tard, c’est le plus huppé, Club Baobab, ouvert en 1970, qui fera figure d’institution. La crème de l’afro-cubain sy produira et notamment, celui qui, aujourd’hui, fait partie de ses meilleurs représentants : l’Orchestra Baobab, au sein duquel l’on retrouve un certain Youssou N’Dour. Créé à l’aube des années 70 sur les cendres du Star Band, le groupe sera adoubé par Léopold Sédar Senghor lui-même qui assiste régulièrement à leurs représentations. Les groupes sénégalais vont peu à peu, eux aussi, délaisser le yaourt espagnol pour chanter en wolof. Comme au Congo, les musiques locales vont se nourrir de cet apport latin. Le mbalax, qui ajoute tambours samar et samas aux morceaux afro-cubains, sera popularisé par le Star Band, et ce nouveau genre éclipsera peu à peu l’afro-cubain à Dakar.

L’Orchestra Baobab dans les années 70

Derrière ces deux têtes de gondole, le Congo et le Sénégal, le reste de l’Afrique de l’Ouest ne sera pas en reste, avec une scène dynamique notamment au Mali et en Guinée. Le tout se doublant d’une portée politique sur laquelle nous reviendrons dans une seconde partie.

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