Au Venezuela, la musique étouffée par la crise

Federico Parra / AFP

[Un article par Benjamin Delille, journaliste basé à Caracas, en partenariat avec le webmedia #Auxsons]


Le Venezuela, terre de salsa et de rythmes afro descendants, reste un pays où la musique est reine. Mais la crise économique, politique et sociale que traverse le pays a mis un sérieux coup de frein à la production et à la création musicale qui était autrefois l’une des plus en vue des Caraïbes.

Si l’on veut danser la salsa, il reste quelques lieux de choix à Caracas qui restent ouverts contre vents et marées. Quelques bars et de rares clubs proposent encore des concerts qui durent jusqu’au bout de la nuit. Pour les artistes en revanche, ce n’est plus suffisant pour vivre. « Avant on se produisait cinq fois par semaine, et on vivait de ça, se souvient Aquiles Baez, un grand nom des rythmes jazz et latinos au Venezuela. Aujourd’hui, quand tu vois un groupe dans un bar, c’est bénévole, ou presque. » 

Non seulement le nombre de bars qui proposent des concerts a chuté en quelques années, mais les derniers qui continuent de le faire sont des repaires de passionnés, sans un sou à offrir à leurs musiciens sinon quelques « Cuba libre » pour faire passer la pilule. « Ceux qui acceptent de jouer comme ça, gratuitement, c’est surtout parce qu’ils sont avec leurs potes, qu’ils ne veulent pas perdre la main et faire un peu de scène », précise Cheo Linares, un compositeur de musiques typiquement vénézuéliennes comme le merengue caraqueño.


Difficile de gagner sa vie

Comment vivre alors en tant qu’artiste au Venezuela ? « Tout le monde ou presque a un boulot à côté, précise Cheo, qui gère un petit commerce. Rares sont ceux qui ne vivent que de ça. » Et encore, ceux-là ne gagnent généralement pas leur argent au Venezuela. « Je vis grâce aux concerts que je fais parfois à l’étranger », explique Aquiles Baez qui dit n’avoir pas touché un centime dans son pays depuis plus d’un an. 

Même chose pour Alfredo Naranjo, un autre grand nom de la musique vénézuélienne contemporaine. Ce compositeur passionné de salsa précise tout de même que rien n’est facile quand on a fait le choix de rester vivre au Venezuela : « Allez convaincre un label ou une salle de concert de vous payer le billet d’avion depuis Caracas… Les prix sont bien plus élevés que partout ailleurs ! On est presque prisonniers dans notre propre pays. » Selon lui, pour être un artiste à succès quand on est Vénézuélien, il vaut mieux vivre à l’étranger.

D’autant qu’il est difficile de se faire connaître depuis le Venezuela : les rares studios d’enregistrement encore debout coûtent une fortune et il est presque impossible de produire des disques. Les plateformes d’écoute streaming ne sont pas non plus accessibles à l’image de Spotify, bloqué par le principal fournisseur Internet CANTV depuis 2018.

Un pays historiquement tourné vers la musique

Pour les artistes vénézuéliens c’est une descente aux enfers. « Surtout quand on sait que dans les années 1970-1980, Caracas était l’une des capitales mondiales de la musique latino » rappelle l’historien Juan Carlos Baez. À l’époque, le Venezuela pouvait s’offrir les plus grandes stars de la salsa grâce aux revenus du pétrole – le pays détient les plus grandes réserves du monde. L’industrie du disque avait de quoi financer l’expansion de stars planétaires en devenir à l’image d’Oscar D’León.

C’est aussi à cette époque que le chef d’orchestre José Antonio Abreu crée le « Sistema de Orquestras », un programme d’éducation musicale populaire qui a mis un instrument de musique dans les mains de milliers d’enfants pauvres vénézuéliens. « Le Sistema a fait du Venezuela un pays de musiciens professionnels, abonde Aquiles Baez. Mais comme tout ici, c’est devenu un instrument de propagande qui tombe en ruine. » Entièrement financé par le gouvernement vénézuélien, le Sistema revendique aujourd’hui un million d’élèves au Venezuela, alors que le pays n’a plus un sou.


Musique et politique

C’est l’autre défi du musicien au Venezuela aujourd’hui : naviguer dans les eaux mouvementées de la polarisation politique. « Il y a trois types d’artistes aujourd’hui, résume Alfredo Naranjo. Ceux qui soutiennent le gouvernement, ceux qui soutiennent l’opposition, et ceux que font de la musique pour la musique. » À l’entendre, les deux premiers se retrouvent souvent, malgré eux, condamnés à faire la propagande de l’un ou l’autre camp. 

Cheo Linares s’en défend, lui qui n’hésite pourtant pas à louer les mérites de la révolution bolivarienne. « L’État a mis en place des programmes sociaux très avantageux pour les artistes depuis Hugo Chavez, il nous a permis de nous produire, d’enregistrer gratuitement… Mais maintenant avec le blocus américain, il n’en a plus les moyens. »

Aquiles Baez rappelle que ces programmes, seuls les artistes chavistes y avaient accès. « Si vous ne défendiez pas publiquement le gouvernement, c’était inaccessible. » Alfredo Naranjo, lui, préfère s’éloigner au maximum de la politique. Andres Barrios, compositeur de musique expérimentale, les rejoint : « On fait de la musique pour créer des émotions, aider les gens à tenir malgré leur vie difficile, par pour envoyer un message politique. »

Et même si les temps sont durs, tous ces artistes ne sont pas prêts de quitter le Venezuela. Car la crise est un « chaos inspirateur » selon les mots d’Andres Barrios. « La crise est une source de création musicale sans fin, c’est le bon côté des choses, précise Alfredo Naranjo.  Vous n’imaginez pas les talents musicaux qui naissent en ce moment au Venezuela. » Reste que beaucoup de ces jeunes talents n’ont pas leur patience : beaucoup ont pris la route de l’exode à l’instar des 4,5 millions de Vénézuéliens ayant quitté le pays depuis 2015.

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