Bebeto – Cheio de razão (1978)


Bebeto, « rei do suingue »

Ça ne fait pas l’ombre d’un doute : Bebeto dégouline de classe. Regard perçant, futal ajusté, pilosité apparente. Une bonne leçon de panache et de style, de quoi se remettre en question en ce crépuscule des années 2010. Enfin, passons. Par-delà son incontournable sex appeal, Bebeto est affublé au Brésil du titre de « rei do suingue » (prononcé swingui). Le roi du swingui, donc. La classe.

Le suingue est un style musical qui découle, comme beaucoup, de l’incorporation d’éléments nouveaux suite à l’intense exposition de la société brésilienne aux musiques nord-américaines. En effet, comme le rappelle le titre « Boogie-woogie na Favela » enregistré par le brésilien Cyro Monteiro en 1945, les sonorités états-uniennes inondent le marché musical brésilien après le second conflit mondial. Au cours des années 50 l’hybridation s’amorce, et bourgeonnent le samba-jazz, la bossa-nova, ou le sambalanço. Pendant ce temps, les futurs géants de la musique populaire brésilienne jouent dans des groupes d’ado qui s’essayent au rock-a-billy (The Sputniks, par exemple, formé par -entre autres- Tim Maia et Roberto Carlos, deux monstres de la musique brésilienne qui prendront deux voies totalement différentes). C’est au commencement des années 60 que prend doucement forme le suingue avec des artistes comme Orlandivo ou Ed Lincoln sur lesquels on remue dans les dancings plutôt aisés des centres villes.



Le balancement est déjà là (suingue n’est d’ailleurs rien d’autre que la brésilianisation du terme swing, balancement), mais c’est l’appropriation populaire et afro-brésilienne qui consacrera le genre. Alors que les premiers DJ viennent d’apparaître, permettant un accès massif aux nuits folles et dansantes, c’est dans les bals des périphéries défavorisées des grands centres urbains, et notamment de São Paulo, que l’on se déhanche le plus. Une nouvelle danse éclot, le samba-rock (qui, par abus de langage, en viendra à désigner le genre musical) et les sonorités importées du swing, rock, et autres mambo disparaissent peu à peu au profit d’une production nationale toujours plus enrichie par des esthètes du métissage musical. Parmi eux, le grand Jorge Ben ou le gros Tim Maia qui ramène des Etats-Unis les graines de la futur black pride brésilienne et commence à distiller au début des années 70 une samba-soul souvent assimilée au phénomène samba-rock/suingue. Né à Sao Paulo en 1953, Bebeto grandit dans cette effervescence musicale et débarque au début des années 70 avec un suingue caractéristique et particulièrement dévastateur.


« Cheio de razão », condensé de groove tropical

En 1979, Bebeto lance son troisième album sur Copacabana Discos, massif label brésilien qui l’accompagne depuis ses débuts. Trois ans après un premier opus plus que prometteur et un second en deça, il revient fracassant de groove. Une guitare ensoleillée, de délicieux « back-vocals » exécutés à la perfection par un chœur exclusivement féminin et quelques cuivres se répondent et se taquinent sur un fond percussif très brésilien (on retrouve notamment l’extravagante cuica qui pousse ses cris sur plusieurs morceaux). Le tout dégouline d’une allégresse tropicale ouvertement revendiquée (« Céu aberto colorido »)


L’album s’ouvre sur le succès commercial « A belleza e você menina », déjà sorti en EP en 1974 alors qu’il se révélait à peine au public brésilien, et qui restera l’un des morceaux phares de sa longue carrière. L’accord fleuri et la voix mielleuse des premières secondes annoncent la couleur. Mais c’est après deux odes groovy au beau sexe, qu’éclabousse la tropicalité brésilienne en A3 avec un morceau 100% futebol. Cliché ?

A première vue, un poil, sauf qu’au Brésil le foot c’est vraiment du sérieux, et la place qu’il occupe dans le corpus musical en témoigne. « Flecha Negra » est un hommage à l’équipe de cœur de Bebeto, les Corinthians, club populaire et afro de Sao Paulo, qui remporte le championnat un an avant la sortie de l’album et après 20 ans de débâcles et frustrations. Bebeto ira jusqu’à écrire un paragraphe sur la pochette pour accentuer l’hommage aux auteurs de cette « page de gloire », terminant sa dédicace par un sibyllin « Musique et histoire, le miroir d’une époque ».

L’énergie créée sur « Flecha Negra » n’a pas le temps de retomber qu’explose déjà « Ceu aberto colorido » morceau incontournable de l’album, qui n’a pourtant pas eu de réel succès en terres brésiliennes. Écrit par Bebeto en collaboration avec Dhema, autre grand monsieur du « suingue », il exalte la brésilianité de l’être, la félicité tropicale.

« Meu país é tropical, cheio de razão.
Nele mora branco e preto, e todos são irmãos
Que felicidade, que grande alegria
Por eu ter nascido, num país de maravilhas »

« Mon pays est tropical, plein de raison
Noir et blancs y vivent, et tous sont frères
Quel bonheur, quelle grande joie,
Que d’être né dans un pays de merveilles »

Bebeto – Céu aberto colorido

« Apareça » et « Corda Bamba » délivrent un groove plus lent mais aux sonorités redoutables grâce à des back vocaux plus courts et impactant et le retour en force de la cuica. Quand on retourne le disque, le plaisir, homogène, ne s’estompe pas. Mention spéciale tout de même pour « Meu astral está baixo » qui introduit, dès l’intro, des violons tombant à point nommé et qui, comme une bonne partie de l’album, s’épanche sur les femmes, les passions et la place centrale que ces dernières occupent dans une vie vécue une seule et unique fois.

Bebeto-Jorge Ben, la rivalité fantasmée

Il arrive, au Brésil, d’entendre que Bebeto a pompé sur la copie du vénéré (à juste titre) Jorge Ben. C’est vrai que Jorge était là avant, et que c’est lui, avec son fabuleux premier album « Samba esquema novo » qui arrive le premier en proposant dès 1969 un « samba nouveau schéma », ce samba post-bossa nova, pré-tropicalisme qui vient parachever les transmutations à l’œuvre depuis deux décades.  Mais les sonorités propres au style de Bebeto, et notamment cette part belle faite aux cuivres dans un esprit très funk, ne constituent pas la marque de fabrique de Jorge. Ni à ses débuts, ni plus tard, car à la différence de Bebeto il aura une carrière relativement inconstante stylistiquement. Il est vrai qu’il s’y adonnera un temps, mais, de fait, « Salve simpatia », l’album de Jorge Ben se rapprochant le plus des sonorités caractéristiques de notre album de la semaine, sort l’année suivante, soit 4 ans après la sortie du premier opus du « rei do suingue ».



Bref, Bebeto envoie, et il n’a pompé sur personne. L’époque est à la mondialisation culturelle et l’hybridation musicale s’opère. Le visionnaire Jorge Ben, de huit ans son ainé, le précède et l’influence inévitablement. Point. Sinon, à ce compte-là, tout le monde musical devient vite une foire à la pompe.

On prend conscience que cette histoire est une querelle de fans, une simple broutille quand on voit que Jorge Ben renie la paternité du samba-rock lorsqu’on lui attribue en interviews ou que Bebeto rend hommage à son ainé sur son dernier album (sorti en 2010) au travers du morceau Big Ben. Et oui, Bebeto est toujours là… La qualité semble s’être évaporée avec les années, mais Cheio de Razão n’est pas perdu dans sa dense discographie (18 albums entre 1975 et 2000) qui contient d’autres albums qualitatifs. En suivant, quelques conseils pour ceux qui souhaiteraient creuser davantage.

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