Fundo de Quintal – Samba é no fundo de quintal (1981)


La soirée est tiède et intimiste dans l’arrière-cour des locaux du « Cacique de Ramos », un fameux bloco du carnaval de Rio. Comme chaque mercredi soir, après un petit foot, Bira, Ubirany, Almir, Neoci et Jorge sont réunis autour d’une table pour partager quelques bières et jouer du samba. L’ambiance est douce et confidentielle, et la musique qu’ils créent est à son image.

Ainsi naît, à la fin des années 1970, le samba-pagode, véritable bol d’air pour le samba après la phase romantisante et très commerciale de la décade qui vient de s’écouler.  Alors qu’il se vendait des millions de disques d’un samba douteux sous influence de la mielleuse pop anglo-saxonne, le mélomane attaché aux sonorités originelles avait dû se réfugier auprès du samba-raíz (samba-racine) que cultivaient à l’époque des artistes résistants comme Clara Nunes ou Martinho da Vila. Mais avec le pagode, c’est une véritable renaissance qui s’opère. Proche des racines, il fait néanmoins sortir de terre de nouvelles pousses qui revigorent le genre.

Les jeunes précurseurs du Fundo de Quintal, qui reviennent aux origines de la roda (rassemblement circulaire de musiciens et de leur public), intègrent également les instruments traditionnels des défilés de carnaval tout en les adaptant au cadre réduit et intimiste. Sereno remplace le gros surdo, percussion qui marque la basse, par le tan-tan. Ubirany transforme lui le repique en «repique de mão» et Bira révolutionne la manière de jouer du tambourin. Globalement, les musiciens s’assoient et les baguettes disparaissent. La texture percussive est nouvelle et suave. Côté harmonique, Almir Guineto substitue au cavaquinho un banjo, au son plus sec et étouffé. Les textes, poétiques mais sans prétention, sont repris par des chœurs voluptueux. En découle un samba à la fois feutré et chaleureux qui sut conquérir massivement les brésiliens avant de se commercialiser à outrance et de connaître à son tour des dérives douteuses dans les années 90. Tant et si bien que l’appellation pagode-raíz (pagode racine) dut également surgir pour les dissocier des belles sonorités des débuts.

Originellement, en portugais brésilien, le pagode est une petite fête dans une arrière-cour lors de laquelle des amis se réunissent autour d’un barbecue et quelques bières, dans une ambiance paisible à l’ombre du soleil féroce et de l’intensité urbaine. Le samba-pagode en est le produit, synonyme de réunion, de communion, et non d’orgie bruyante.



Si Samba no Fundo de Quintal en détient clairement la paternité, c’est Beth Carvalho, grande dame du samba de l’époque, qui, conquise alors qu’elle est invitée par un ami du  « Cacique de ramos » à une de ces petites ambiances de milieu de semaine, invite tous ces gars encore inconnus à jouer sur l’album « De pé no chao », sorti en 1978 et considéré comme le premier album de pagode. Mais Beth n’en profite pas pour tirer à elle la couverture et jouera dans la foulée un véritable rôle de marraine pour introduire auprès des producteurs ces petits gars d’Olaria (quartier du bloco Cacique de Ramos). En 1980, ils sortent l’album Samba é no fundo do Quintal.Un an plus tard, le volume 2 est dans les bacs.

C’est un album à l’image du pagode : intimiste, familier, humble. Un véritable havre de paix pour celui qui s’arrête quarante minutes pour l’écouter. La simplicité poétique des textes, écrits par les membres du groupe eux même ou des amis de la bande, ainsi que la douceur rassurante des chœurs, invitent l’auditeur dans une oasis d’apaisement.

S’il est wholesome (pardonnez l’anglicisme mais cette notion semble faire défaut à langue française), ce volume 2 n’est pas pour autant naïf, et c’est là que réside sa puissance. Il prend acte des amertumes de la vie (Amarguras) ou aborde l’amour et ses embûches avec lucidité et sans jamais tomber dans le pathos (Resignação, Melhor para dois). Il nous conte aussi des légendes marines teintées de religiosité afro-brésilienne (So janaina) ou des petites histoires de la favela dont la morale est à inventer (Bebeto loteria).

La recette instrumentale a déjà été donnée. Ajoutons simplement l’impressionnant jeu de Walter Silva qui se promène sur la guitare à 7 cordes et que l’on découvre en même temps qu’Almir et son banjo après la courte introduction percussive de l’album. Les chœurs, parfois entonnés par l’équipe des Fundo de Quintal eux-mêmes, parfois renforcés ou même eclipsés par des voix féminines (Resignação, So Janaina) jouent un rôle crucial dans ce tourbillon d’apaisement. Fédérateurs et entraînants, ils unissent harmonieusement des voix qui montent et descendent ensemble, attrapant au passage l’auditeur subjugué et lui réchauffant le cœur. Ils reprennent des bouts de textes écrits comme de vrais poèmes, sans refrain et introduisent à plusieurs reprises des morceaux de leur « laiaaaa lalalaia … » envoûtants (Vai por mim, Resignação ainsi que Ser Poeta, Doce refugio). Ces deux derniers morceaux font figure de manifestes pour « Samba au fond du jardin vol. 2», ce havre de paix empli de mélodies rassurantes.  Doce Refugio est une ode au Cacique de Ramos, ce « doux refuge » (traduction littérale du titre) où les « tamarineiras » (arbres fruitiers tropicaux) sont les « gardiens de la poésie ». Dans la même veine, Ser Poeta est une exaltation de la figure du sambiste, poète du peuple et distributeur de bonheur.


« Être poète c’est abriter quelqu’un quand il est chancelant »

Fundo de Quintal, « Ser Poeta »

On y retrouve donc le doux refuge, auquel Entre confiante fait une dernière fois écho. En effet, même si elle est subtilement teintée de sensualité, cette invitation finale à entrer et rester à sa guise dans la maison du poète où rien ne manque et où l’on est à son aise, parachève la saveur hospitalière que distille cet album débordant de poésie humble et communicative.


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