Jambú e os míticos sons da Amazonia (2019)


Sortie le 21 juin dernier, Jambú e os míticos sons da Amazonia, fait honneur tant au premier jour de l’été qu’à la joyeuse sauterie qu’est la fête de la musique. Proposée par le label Analog Africa, cette sélection de morceaux produits en Amazonie brésilienne dans les années 70-80, est bien plus qu’une simple compil, et c’est la raison pour laquelle Tropicalités a décidé de jouer avec les contours de son album de la semaine pour parler de ce various, produit d’une véritable démarche artistique. Celle d’un voyageur au long cours, d’un archéologue musical fouillant les bacs et les marchés, partant sur les traces de ces groupes, ressuscitant les sonorités et les histoires qui les entourent.

Un grand livret de 24 pages accompagne ce double LP. On pourrait même sans risque affirmer le contraire : deux disques accompagnent ce petit ouvrage documentaire aux multiples facettes. Recueil photographique et iconographique, manuel pour chasseur de wax en terres amazoniennes, c’est aussi un carnet de voyage au début duquel on peut lire les soubresauts de l’âme du digger enfermé dans sa chambre d’hôtel entre deux pluies diluviennes ou perdu dans les méandres tortueux et odorants de l’immense marché « Ver-o-peso », à Belém.  Mais ce livret est avant tout une mine d’information sur l’effervescence musicale que connait la ville et sa région dans les années 70-80, et sur les artistes et groupes compilés. Par-delà la recherche de disques, qui génère son lot d’histoires et anecdotes distillées çà et là par les vendeurs passionnés, partir sur les traces des groupes de l’époque où ce qu’il en reste est au cœur de la démarche. En découle un rare et dense témoignage sur la réalité musicale de la région à cette époque. Genèse de genres hybrides, radios et labels, et même vie nocturne. Deux double-pages nous plongent en effet dans les nuits chaudes du Bairro Condor, quartier de débauche de cette mégapole perdue aux confins du « pays-continent » et aux portes de « l’enfer vert ». On erre de bar pouilleux en discothèques huppées, fait un détour par un strip-club et l’on palpe ainsi l’ambiance de ces nuits moites et déchaînées durant lesquelles se mélangent les classes sociales, les teints de peaux, et les breuvages.

Princesse urbaine de l’Amazonie brésilienne, Belém do Para est chaotique et disparate à l’image des cycles économiques qui la firent successivement prospérer et s’effondrer. Sucre, riz, coton, café, mais surtout caoutchouc. A l’époque de la ruée vers l’or mou, Belém est la cité la plus faste et florissante du pays. Aujourd’hui, le luxe architectural décati témoigne de cette fièvre caoutchouteuse, mais la ville a continué à s’étaler toujours plus loin en une jungle de béton et de favelas grignotant chaque jour un peu plus l’autre jungle, la vraie.

La localisation de Belém do Para, ville de 2 millions d’habitants perdue aux confins du « pays-continent » et aux portes de « l’enfer vert »

Indigènes, européens, puis africains -rapidement drainés par les colons vers l’estuaire amazonien après l’épuisement des autochtones-, le peuple du Para (l’Etat de Belém) est le produit d’un métissage hors norme dont l’âme musicale est le prolongement.

Comme souvent dans les expressions musicales des différentes régions brésiliennes, le rôle joué par l’influence afro est prépondérant, à la faveur des rythmiques percussives et de la religiosité du Candomblé, de l’Umbanda ou du Tambor de Mina.

La compilation contient 4 morceaux (Pai Xango, Meu Barquinho, Carimbo Para Yemanja, Xango) dans lesquels on retrouve des références directes aux orixas, divinités des religions afro-brésiliennes. Dans ce morceau c’est Yemanja, reine du monde aquatique, qui est honoré

De cette mixture vibrante, émergent de nouveaux genres musicaux : Carimbó, Samba-De-Cacete, Siriá, Bois-Bumbás, Bambiá, Lundún, ou encore Banguê. Des genres qui se renouvèleront ou s’hybrideront au gré de la pénétration de la modernité, de ses apparats, et de ses appareils, dans les terres reculées de l’Amazonie brésilienne.

Tour à tour, la radio puis l’industrie phonographique s’implantent localement, permettant de répandre et diffuser le bouillonnement musical du nord brésilien mais aussi de l’exposer à des sonorités d’autres régions ou pays. A Belém, on se branche à l’époque sur des fréquences péruviennes, colombiennes ou bien cubaines, et des genres comme le merengue ou le mambo influencent considérablement les artistes du coin.


Dans ce morceau, Os muiraquitãs, parlent de quatre autres artistes/groupes présents sur la compilation (Pinduca, Verequete, Mestre Cupijo, Grupo da Pesada), rendant hommage à l’hybridation musicale dont ils ont été les auteur

Jambú e os míticos sons da Amazonia concentre donc un florilège de cette effusion de croisements musicaux. La lambada (Melo do Bode, Lambada da Baleia, Xango) est issue d’un accouplement entre carimbo,  salsa et merengue. Le carimbo, electrisé par Pinduca, est sous influence de la cumbia et du psychédélisme ambiant des années 70.  Le siriá est, lui, mis sous perfusion de mambo et merengue par Mestre Cupijó.

Ces morceaux, jouissifs et dansants, crachés à l’époque à des volumes indécents par les aparelhagens sonoras, ces soundsystems artisanaux typiques du Para, puis tombés des décennies dans l’oubli, se voient aujourd’hui ressuscités par Analog Africa.



Derrière cette sélection aiguisée et le méticuleux travail documentaire, un homme, qui, s’il est aidé sur chaque projet par différents collaborateurs (voir crédits du disque ci-dessous), est seul à porter à bout de bras Analog Africa, un label dont la proposition ambitieuse se distingue à l’heure où la world music inonde un marché vinylique en pleine résurgence. Rencontré en mai dernier à Salvador de Bahia en marge d’un set où cumbia péruvienne et funk congolais se côtoyaient allègrement, Samy Ben Redjeb n’en est pas à son coup d’essai. Ce tunisien de naissance, fondateur d’Analog Africa en 2006, arpente l’Afrique et ces terres d’outre-Atlantique où, à l’instar du Brésil, les descendants d’esclaves ont grandement contribué à l’édification de cultures métisses et fascinantes. Des disques rares, des sonorités insoupçonnées mises au grand jour, une recette connue et efficace. Mais là où Samy fait la différence c’est dans son rapport à l’artiste, aux contextes (géographique, social, historique), aux histoires, aux vies qui entourent les œuvres qu’il ressuscite et compile. Il écoute, questionne, comprend, écrit, raconte. Une démarche précieuse à l’heure où musiques du monde et business commencent à fricoter, et l’«appropriation culturelle» à s’imposer comme un concept à la mode. 


Couverture du livret de 24 pages (format vinyle 33t)

NOTA BENE : Le jambú, appelé aussi cresson du Para, est une plante amazonienne largement répandu dans la cuisine locale. Elle cause une puissante sensation de picotement dans la bouche et stimule l’appétit. Réputé pour ses vertus anesthésiques et curatives, ce remède indigène traditionnel s’est popularisé depuis qu’un visionnaire a créé, il y a une dizaine d’année, la « cachaça de jambú », alcool aux effets euphoriques qui a depuis conquis le Brésil.

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CREDITS

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