Le Ritmo con Señas, une révolution dans le monde de l’improvisation musicale – Partie 1

“L’improvisation, c’est l’art de jouer avec le hasard”
Santiago Vazquez

Il y a 15 ans, Santiago Vazquez, compositeur et musicien argentin crée le Ritmo con
Señas , traduit en français par le langage de Rythme Signé . Ce langage musical composé de plus de
cent-cinquante signes réalisés avec les mains et la gestuelle corporelle, permet de diriger un
orchestre, un groupe d’instruments harmoniques, de percussions ou de voix, pour créer une
composition collective en temps réel. L’originalité de ce langage est qu’il est accessible à tous et
que chaque musicien est en capacité de diriger le groupe. Réunissant déjà une grande
communauté de passionnés en Argentine et en Amérique du Sud, il joue aujourd’hui de son
universalité pour se diffuser dans plus de vingt-cinq pays sur quatre continents.

Qui peut comprendre et apprendre ce langage? Comment tient-il les foules en haleine toutes les
semaines depuis quinze ans? Comment a-t-il franchi les frontières?


Définition du Rythme Signé par Santiago Vazquez, extrait du documentaire Ritmo con Señas , en
cours de réalisation par le collectif Micropolis

Histoire : Naissance d’un nouveau langage d’improvisation musicale

L’histoire de ce langage est intimement liée à celle de son créateur, Santiago Vázquez.
Compositeur, chef d’orchestre, producteur, éducateur et musicien multi instrumentiste argentin,
il est le créateur du langage de Rythme Signé en 2006. Le Rythme Signé est un langage de
composition musicale en temps réel. Un directeur donne des indications rythmiques (métrique
des mesures et subdivisions, tempo…) et mélodiques (tonalité, gammes…) aux musiciens qui les
interprètent et les jouent immédiatement. Les musiciens et le public sont embarqués dans un
jeu d’improvisation infini.


Santiago Vazquez dans son studio en Mars 2020, photo Jeanne Martinet pour Micropolis

Cet enfant d’immigrés italien et espagnol a été éveillé à la musique par les disques qu’écoutait sa famille. Il assemble sa première batterie en disposant des casseroles et des couvercles en métal et improvise dessus, utilisant des cuillers en bois comme baguettes. Après une formation à la batterie au conservatoire, il commence sa carrière professionnelle avec des musiciens comme Luis Salinas ou Nestor Marconi et à 17 ans il participe déjà à sa première tournée internationale. C’est lors de voyages notamment au Brésil, en Uruguay et au Maroc qu’il se penche sur l’étude rythmique des musiques traditionnelles de manière approfondie. Un point commun entre toutes ces musiques traditionnelles l’intrigue : chacune d’entre elles avaient pour objectif principal la transe rythmique partagée par tous les participants. Ces voyages ont eu une grande répercussion sur la manière dont est conçu le Rythme Signé.

Son passage au Californian Institute of Arts, entre 1994 et 1996, est révélateur. Il y étudie la direction orchestrale et y est éveillé à de nouvelles méthodes et de nouveaux genres d’orchestration, notamment lors de sa rencontre avec Wadada Leo Smith, grand trompettiste et compositeur d’improvisation américain. Parallèlement, d’autres voyages l’amènent à s’intéresser aux ensembles instrumentaux traditionnels balinais et ghanéen “gamelan” et “ewé” qui l’inspirent également dans ses recherches d’un langage de direction d’improvisation centré sur le rythme.

Quelques années plus tard, en 1998, Santiago Vázquez est invité comme musicien à une répétition de l’ensemble d’improvisation de Butch Morris. Morris est un musicien de jazz américain, créateur du langage de direction orchestrale de Conduction. C’est émerveillé qu’il ressort de cette expérience et fasciné par certains signes qu’il reprendra plus tard comme la Note Soutenue (ci-dessous).


De retour en Argentine, son envie de développer un langage basé sur le rythme l’amène à créer un groupe-laboratoire, le Colectivo Eterofonico de Improvisacion avec lequel il développe les premiers signes du langage. Néanmoins, l’empreinte du free-jazz est trop importante pour lui : les propositions des musiciens ne se répètent pas et il est difficile pour lui de les rendre intelligibles par un public. C’est ce qui le conduit à se concentrer sur une recherche rythmique poussée et à développer des signes permettant de donner des indications précises sur la métrique de la composition collective.

Finalement, en 2005, lors d’une nuit claire de septembre, c’est en méditant face aux eaux troubles du fleuve Caraguata sur le delta de Tigre, au nord de Buenos Aires, que dans la tête du créateur s’assemblent les pièces du puzzle. Tous les instruments et voix peuvent être dirigés dans un ensemble sur lequel il est possible de danser si la base du langage est rythmique et non mélodico-harmonique, comme elle l’était dans les autres langages de direction qu’il a étudiés. Le but étant de s’éloigner de l’aspect cérébral du jazz d’improvisation d’avant-garde et de se diriger vers un mode d’improvisation démocratique, conçu avant tout pour danser. Une fois ces réflexions mises en forme, en 2006, Santiago Vázquez réunit les meilleurs percussionnistes de la province de Buenos Aires pour former le premier groupe de Rythme Signé : La Bomba de Tiempo.

Celui-ci jouera tous les lundis dans le centre culturel Konex, au cœur de la capitale argentine dans le quartier d’Almagro, et ce jusqu’à aujourd’hui! Commençant avec des répétitions ouvertes au public dans cette ancienne usine désaffectée reconvertie en centre culturel, le Konex, le phénomène prend rapidement de l’ampleur. En moins d’un an, ils remplissent déjà la cour du Konex, accueillant 1000 à 1500 spectateurs. C’est, durant ces 14 dernières années, devenu un incontournable de la vie culturelle de Buenos Aires et chaque lundi, des milliers de locaux et de touristes s’y rejoignent pour danser sur ces rythmes endiablés.






La Bomba de Tiempo en 2014 à Buenos Aires au Konex dirigée par Cheikh Gueye

« J’ai vu qu’il y avait du monde et qu’ils étaient venus pour profiter entre amis. L’idée n’était pas celle d’un show qu’ils viendraient voir pour la manière dont nous jouions ou les signes que nous faisions, l’idée était qu’ils puissent danser sur une musique authentique qui soit d’ici et de maintenant, d’où l’improvisation. Quand j’ai vu que certaines personnes, sans que je l’explique, venaient pour danser entre amis, c’est là que j’ai su avec certitude que ça allait fonctionner. »

Santiago Vazquez, interviewé en mars 2020 par Micropolis

Rendez-vous la semaine prochaine, pour découvrir dans la partie 2 la dimension sociale et pédagogique du Ritmo Con Señas, et son évolution jusqu’à aujourd’hui !

Margaux Belanger et Julien Messina du collectif Micropolis



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