Le Ritmo con Señas, une révolution dans le monde de l’improvisation musicale – Partie 2

Le phénomène du direct 

S’il est une chose frappante lors d’un concert d’un groupe de Rythme Signé c’est la connexion qui se fait de manière quasi-systématique entre le directeur, les musiciens et le public. L’une de ses caractéristiques est d’être particulièrement accessible et intelligible : c’est une musique conçue pour danser grâce à la présence de cellules rythmiques répétées. Cette transe rythmique rappelle certaines cérémonies religieuses ou différentes traditions musicales. Santiago Vázquez cite notamment les « blocos de Samba-Reggae à Bahia, au Brésil, les “escolas do Samba” à Rio de Janeiro, le Candombe uruguayen, l’Aissaoua au Maroc, le Gnawa algérien… »

L’attention des musiciens est telle, portée à un extrême par le jeu de l’improvisation, que l’ensemble des personnes présentes ressentent cette tension et se laissent prendre par l’incompréhensible jeu des corps qui entrent en résonance. Loin de la fluidité insaisissable de l’improvisation virtuose et cérébrale du free-jazz, il parle aux mécanismes les plus instinctifs de notre rapport à la musique.

En 2009, Santiago Vazquez fonde La Grande, un groupe de Rythme Signé réunissant des percussions, des instruments mélodico-harmoniques et des voix et jouant tous les mardis au centre culturel Santos Dumont 4040 à Buenos Aires. Lors de la création de ce groupe, il diversifie grandement le répertoire de signes. Il donne une utilisation professionnelle à des signes conçus à l’époque du Colectivo Eterofonico permettant de donner des indications mélodiques, notamment sur les gammes, les notes, les tonalités, les intervalles… Ceci donne une autre dimension à ce langage, plus seulement basé sur la percussion mais désormais tout aussi adapté à une utilisation avec des instruments harmoniques et des voix. Le groupe, aux sonorités nettement plus jazz, s’organise comme une jam et invite les musiciens qui connaissent le langage de Rythme Signé à se joindre à l’improvisation. Avec la variété des instruments, des musiciens et leur bagage d’influence, les possibilités de jeu se multiplient et c’est pour continuer sur ce chemin, que Santiago Vázquez crée PAN en 2019.

Ce groupe est pensé comme un espace de divertissement qui va bien au-delà du simple concert. Dans l’immense C Complejo Art Media, dans le quartier de Chacarita, à Buenos Aires, des activités en tout genre ( tables de ping pong, des paniers de basket, un atelier de pétrissage de pain…), un bar et une immense terrasse se mêlent à la performance en direct du groupe. Les sonorités assemblées sont cette fois-ci des instruments traditionnels péruviens, argentins, cubains, sénégalais, marocains ainsi que des instruments électroniques et du beatbox. Le rendu général est un succès et remplit la salle de 1500 personnes tous les jeudis depuis Juin 2019. Santiago Vázquez a ici réellement mis en place son ambition de faire du Rythme Signé un espace de jeu et de divertissement. C’est “une expérience de liberté sensorielle”, selon les mots de Carolina Cohen, percussionniste du groupe aux influences cubaines et afro-péruviennes.

Crédits photo : ARPS 

Dimension sociale et pédagogique 

Le Rythme Signé redéfinit complètement les contours de la musique live et permet l’accès à tous à une forme de musique collective enrichissante. En plus de générer des compositions musicales d’une grande force et de réunir un public fidèle autour d’une expérience chaque semaine renouvelée, il est un puissant outil d’intégration sociale à plusieurs niveaux et ses vertus vont bien au-delà du seul divertissement. 

Lorsque Vazquez entreprend de développer le langage de Rythme Signé, cela prend rapidement la forme d’une méthode pédagogique et d’un lieu d’enseignement. C’est en s’associant à des musiciens de La Bomba de Tiempo que Santiago Vázquez fonde la première école, la Bomberia, en 2007. Ils se rendent rapidement à l’évidence: ces deux projets sont bien distincts et les musiciens de La Bomba de Tiempo n’ont pas forcément l’ambition d’enseigner le langage. Elle se dissout par la suite pour être reformée à diverses reprises, sous le nom de Centro de Estudios de Ritmo de Buenos Aires (CERBA) puis finalement le Centro de Estudio de Ritmo y Percusión con Señas (CERPS) qui réside actuellement dans le quartier de Coghlan à Buenos Aires. Le programme et la méthodologie gardent la même philosophie depuis la Bomberia et l’ambition a toujours été d’offrir un espace de référence et d’apprentissage pour l’ensemble de la communauté internationale du Rythme Signé et d’en garantir ainsi l’intégrité. 

En Europe, Gonzalo Teijeiro, argentin ayant développé le langage de Rythme Signé à Rome, en Italie, a créé une école L’Orchestra Improvvisata, dans laquelle le jeu se situe au centre du processus d’apprentissage, via ce langage. C’est cet environnement qui permet de stimuler la créativité des élèves, expérimentés ou débutants, et de repousser les limites de ce qu’ils peuvent imaginer. Il explique: « Plus tu connais de lettres, plus tu peux écrire de mots, mieux tu peux exprimer tes idées. De la même manière, plus tu connais de signes, moins tu as de limites dans la création musicale. »

Ces éléments pédagogiques fondamentaux transcendent les différentes instances de l’Orchestra Improvvisata. Aussi bien lors des cours réguliers en salle de répétition avec les groupes de niveaux débutant et avancé, qu’avec les patients de l’hôpital psychiatrique de jour Montesanto ou bien au Centre Social Occupé Autogéré (CSOA) Spartaco, l’Orchestra Improvvisata adapte sa proposition aux étudiants et à leurs besoins. La dimension pédagogique et sociale du projet lui confère donc une légitimité et un rayonnement autre que celui du divertissement. En raison de la simplicité de son apprentissage, de la profondeur et de l’immédiateté de ses résultats, le Rythme Signé est également utilisé par des thérapeutes et des enseignants en Italie pour renforcer la confiance en soi et l’esprit d’équipe. 

Par ailleurs, en Argentine des individus n’ayant pas accès à un apprentissage classique de la musique étudient le Rythme Signé à travers Arte en Barrios.  Programme d’État pour lequel  Santiago Vazquez et les professeurs du CERPS animent un atelier de Rythme Signé, dont le but est l’intégration et l’échange entre différentes populations, il permet à des personnes issues de quartiers défavorisés de Buenos Aires d’apprendre le langage de Rythme Signé aux côtés de professionnels. Luciano Fernandez, professeur participant à ce programme, confie à Micropolis en mars 2020 que « le but est que ces personnes puissent un jour travailler de ce qu’ils étudient avec nous. Et ça c’est important parce qu’ils voient qu’avec tout ce qu’ils apprennent, l’Etat va les appeler pour qu’ils fassent des concerts et les payer pour leur travail. En gros ils voient le schéma du musicien, mais très rapidement. Ils commencent à jouer puis reçoivent un salaire pour jouer de la musique, des bourses, notamment pour aller étudier au CERPS. »

Un langage qui voyage à travers le monde 

Après s’être développé en Argentine, ce langage a traversé les frontières et c’est dans les têtes et sur les mains des passionnés qu’il voyage. Il existe maintenant des groupes aux quatres coins du monde ! Les rues de Buenos Aires, Salvador de Bahia, Lima, Rome, Lisbonne, Barcelone, Amsterdam, Bruxelles, Vienne, Angers et Tokyo sont liées les unes aux autres par les rythmes entêtants du langage de Rythme Signé. 

La vision de Santiago Vázquez n’a jamais été d’en faire un objet culturel marchand et d’en contrôler la diffusion. Au contraire, il a conscience que sa richesse vient des différentes utilisations qu’en font les acteurs de cette communauté mondiale. 

“Je me vois comme un jardinier laborieux, les graines sont comme les bonnes idées, elles n’appartiennent pas à leur auteur. (…) J’ai l’impression qu’à l’état de graine il y avait déjà tout le potentiel. Par la suite, bien sûr, le fait que ces graines germent et deviennent des arbres puis des forêts dépend d’une multitude d’autres facteurs, n’est-ce pas? Certains de ces facteurs sont liés à la vision des gens qui en prennent soin, à la confiance dans le fait que ça va marcher et pouvoir dédier ta vie à ce projet.”

 En ce sens, il crée en 2018 l’Asociación de Ritmo y Percusión con Señas (ARPS) pour réunir et créer un point de contact entre les différents groupes à travers le pays et à travers le monde. Elle est depuis la garante de l’intégrité et de la diffusion du langage dans ses différentes instances et un point de référence international, aux côtés du CERPS. Le manuel détaillant les signes du langage de Rythme Signé et leur utilisation, le Manual de Ritmo y Percusión con Señas, écrit par Santiago Vázquez et publié en 2013 aux éditions Atlantida, est lui aussi un puissant outil de diffusion. Il a été réalisé en version bilingue hispano-anglophone et des traductions italiennes et françaises sont en cours. Cela permet de toucher un public large et de s’assurer d’une certaine constance dans la pratique du langage en dehors de ses instances officielles. 

La pluralité de ses expressions nous démontre que plus qu’un genre musical, il est avant tout un outil, structure adaptable qui a désormais quitté les mains de son créateur. En Amérique du Sud les groupes sont évidements nombreux, des centaines ont vu le jour depuis 10 ans, depuis Buenos Aires jusqu’au Costa Rica, en passant par l’Uruguay, le Brésil, la Colombie ou le Mexique ! Chacun utilisant le langage à sa manière et selon ses traditions musicales. SYSMO, créé par Augustin de Bellefroid et Mauro Sarachian à Bruxelles en Belgique  en 2012, est le premier groupe de Rythme Signé en Europe. Réunissant une quinzaine de percussionnistes professionnels, il a su s’intégrer à la scène culturelle bruxelloise et faire danser les foules belges avec autant de fougue que ses prédécesseurs sud-américains. Ils ont aussi fondé une école au sein de laquelle ils enseignent le langage à tous les niveaux. Leur approche pédagogique, explique Gwenaël Dedonder, est très moderne et ludique, et elle porte ses fruits! Ces dernières années ont vu naître à Bruxelles des groupes de Rythme Signé fondés par des élèves de l’école de Sysmo. La machine est en marche…

En France, Antoine Aupetit, créée en 2009 Orange Platine, une boite de production dédiée à l’expression  artistique à travers l’improvisation. Quelques années plus tard, après avoir découvert le système du Rythme Signé, il développe la portée sociale de ce langage au sein d’ateliers pluridisciplinaires à destination de publics divers, des enfants aux adultes, des amateurs aux musiciens professionnels. Il participe aussi à la fondation du groupe Café Frappé, groupe de percussion professionnel utilisant le Rythme Signé. 

Au Portugal, à Lisbonne, Aixa Figini est la créatrice de CIRCULAR, un groupe de chanteuses utilisant le Rythme Signé pour diriger des voix en improvisation. De même à Rome avec Gonzalo Teijeiro et son école l’Orchestra Improvvisata et son groupe la Ritmoteca. D’autres groupes sont présents en Espagne, en Autriche, en Hollande, en Suisse… et au Japon ! 

Finalement, c’est l’ardeur et la passion dont font preuve les membres de cette communauté qui permet sa croissance à l’internationale. 

Pour en savoir plus :

En français: 

http://orangeplatine.fr/

https://sysmo.be/

En espagnol:

https://www.santiagovazquez.com

https://www.cerps.org.ar/cerps

http://www.arps.com.ar 

Micropolis, collectif qui produit la web-série documentaire ‘Ritmo Con Señas’ 

Instagram : https://www.instagram.com/micro.polis/?hl=fr 

Facebook : https://www.facebook.com/collectifmicropolis 

Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=YsCMZc_hNwo&t=3s 

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