Il y a 5 ans, la musique brésilienne perdait l’un de ses plus grands artisans. Foudroyé d’une crise cardiaque alors qu’il avait peine soixante printemps, Lincoln Olivetti était un de ces hommes de l’ombre, un habitué du dos des pochettes et des petits caractères sur les macarons, mais un musicien hors-norme, qui imprima une marque indélébile sur les productions de son temps.
Son nom ne vous dit peut-être pas grand-chose, mais ces morceaux seront sûrement bien plus évocateurs : Estrelar (Marcos Valle), Palco (Gilberto Gil), Olhos Coloridos (Sandra Sá). Trois méga-hits de ce groove brésilien revenu à la mode pendant les années 2010 et un seul dénominateur commun : Lincoln Olivetti.
Tantôt au clavier/synthé, à la composition, aux arrangements ou derrière la console, Lincoln Olivetti a à son actif des centaines de morceaux du même acabit. Il est l’architecte, l’ingénieur, l’orfèvre du son boogie do Brasil. Fort d’une éducation musicale précoce et d’études en ingénierie électronique, il fait rapidement figure de pionnier du synthétiseur et révolutionne la production nationale. Doué d’un entendement profond de la recette US et d’une maîtrise totale du matériel d’enregistrement, il introduit avec génie des éléments électroniques et devient le géniteur de l’ADN musicale caractéristique de la décennie 80’s en terres brasileiras.
Un bref coup d’œil à sa page discogs permet de comprendre qu’occuper le haut de l’affiche ce n’était pas trop son truc. Deux albums seulement en tant qu’artiste interprète central : un obscur disque instrumental (Hot Parade n°1) enregistré à l’âge de 14 ans sur lequel il reprend des hits de l’époque à l’orgue électronique et, le brillant et fameux LP de 1982 co-réalisé avec son grand comparse et guitariste génial Robson Jorge. Très peu de paroles, beaucoup de groove. A écouter sans modération.
Si c’est l’unique pochette d’album où sa ganache trône, souriante, on se rend compte en jetant un œil aux disques sur lesquels il apparaît aux crédits que le bonhomme a participé à pas de moins de 431 autres productions. Par-delà son rôle d’orfèvre du boogie national, les plus grands artistes de la musique populaire brésilienne (Gal Costa, Erasmo Carlos, Claudia Telles) ou du samba (Alcione, Dicro) ont fait appel à son talent.
Capable d’imprimer sa patte à un projet en faisant des miracles derrière son synthé, Olivetti excellait surtout aux arrangements à la faveur desquels il pétrissait et modelait la pâte du succès. Car Lincoln avait un sens aigu de la musique qui déménage, du son qui ne laisse pas indifférent. Lui-même disait avoir tout appris à l’époque où il jouait avec son groupe dans des bals, car « le bal t’oblige à jouer tout ce qui fonctionne et fait danser les gens, tu n’as pas le droit à l’erreur ». Nombreux sont les artistes qui confient avoir vu leurs morceaux transcendés par le passage du mage-arrangeur. Sa spécialité : les cuivres. Sur Disco Time (Tim Maia) et l’album sans titre d’Estrelar (Marcos Valle), les deux artistes, qui se chargent eux-mêmes des arrangements de base, font appel au visionnaire pour qu’il vienne y adjoindre habilement les cuivres. Deux succès intemporels.
Vous vous en douterez : à sa mort, les hommages furent légions. On vous laisse avec celui de Kassin, producteur et musicien de la scène contemporaine brésilienne, qui composa spécialement un morceau et affubla Lincoln Olivetti du titre de « Quincy Jones brésilien ».