« Sabrosura ! » Quand la musique tropicale nous parle de nourriture


“Que rico ! Sabroso !” Ces interjections lancées par les chanteurs de salsa font toutes références à un imaginaire culinaire : quel délice ! Que de saveurs ! Le nom même du genre fait lui aussi référence à l’univers de la cuisine : rencontre de styles et de sonorités cubaines, portoricaines, états-uniennes, la salsa est littéralement une « sauce » aux ingrédients variés, dont le mélange se propose de charmer les tympans plutôt que les papilles. Si, dans la plupart des morceaux, ce rapprochement avec la gastronomie n’est qu’une métaphore qui permet de souligner le talent des musiciens, certains salseros ou cumbierossautent le pas et font de la nourriture le thème central de leurs chansons : c’est à ces passionnés de la fourchette que nous allons rendre hommage aujourd’hui.

Le maestro Lucho Bermudez, qui contribua depuis les années 30 à faire connaître et évoluer la cumbia, est né et a vécu sur la côte Caraïbe colombienne ; amoureux de sa région, il l’a toujours mis en avant dans sa musique, décrivant ses paysages, exaltant son folklore … Dans ce morceau, qui comme toujours chez Bermudez relègue la voix au second plan pour donner le rôle principal à la clarinette et aux cuivres, il exprime candidement son amour pour le riz à la coco bien connu des costeños colombiens : « Le riz à la coco / Qu’on trouve là-bas sur la côte, il me rend fou / Je voudrais une noix de coco / Qui soit bien remplie, qui ne soit pas pourrie ».


Comme chez Bermudez, on retrouve chez la diva de Mompox le désir de célébrer sa région d’origine, ainsi que le porro, le sous-genre de la cumbia qu’elle joue. Dans ce long texte elle fait perpétuellement fusionner les deux, évoquant leurs parfums imbriqués : « Le porro a l’odeur / De tout le meilleur de ma région / Il sent la canne à sucre, les taureaux / L’ananas et la mangue / Il sent le manioc farineux / Et les œufs au piment ».


C’est ici de “riz aux haricots verts” qu’il s’agit. Dans ce morceau, le groupe portoricain n’évoque pas la gastronomie d’une région spécifique, mais fait une déclaration d’amour à la salsa, en rappelant ses particularités, en marquant sa différence avec d’autres styles. « Ceci n’est pas une balade, et ce n’est pas non plus du rock / c’est de la salsa, du son, de la rumba / Ce n’est pas une salade light de régime / Du riz avec des haricots verts et de la viande, voilà ce que c’est ! ». Le Gran Combo adresse également un rappel à tous ceux qui voudraient intellectualiser la salsa à outrance : « Les saveurs de la vieille école / De la salsa caribéenne / Ne s’apprennent dans aucune université, pas même la meilleure / Elles viennent de la rue, de la rue, du coin de la rue ».


Le portoricain Ismael Rivera est souvent appelé le Sonero Mayor, le plus grand des chanteurs ; qu’à cela ne tienne, le colombien Fruko s’autodésignera dans la chanson éponyme comme le Cocinero Mayor, le cuisinier en chef ! « Je t’invite à savourer le meilleur : un cochon de lait / du poisson en sauce piquante / une fricassée de poulet / un gros dindon rôti / Bien assaisonné, bien assaisonné ! ». Chez Fruko, la sauce vient de Carthagène, la viande de Cuba, le poisson d’Aruba ; au-delà de la liste de recettes alléchantes et de l’autodérision, ce morceau rappelle les origines variées et les mélanges qui ont fait la salsa.


Terminons cet inventaire des épices latinoaméricaines avec ce morceau-récit du Combo Candela, narré par l’inoubliable chanteur Piper « Pimienta » Diaz. La guagua est un petit rongeur de la côte pacifique colombienne, utilisé dans la préparation du sancocho, un ragoût de viandes, de tubercules et de maïs. Dans cette chanson, un père s’adresse à son fils, lui demandant d’aller chercher un fusil puis de l’accompagner dans les collines à la poursuite de l’animal. « Tire sur la guagua papa, regarde, la guagua s’en va ! ». Malgré les avertissements du fils, les infortunes s’accumulent : la vue du père se trouble, le fusil s’enraye, la nuit tombe … Les deux chasseurs rentrent fatigués et sans prise : pas de sancocho pour Piper et sa famille ce soir.

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